CA A ETE COMPLIQUE, pour mille raisons... Parce qu’on ne m’a pas laissé faire l’atelier spontané que je voulais faire sur la place publique (le programme Kusi Ayllu voulait que je ramène les jeunes dans leur local, qui n’est pas adapté), parce que le groupe de jeunes dont on m’avait parlé avant ma venue n’existe pas en réalité, et puis surtout parce que les gens ici sont incapables de dire « non », et s’engagent à faire des choses qu’ils n’ont pas l’intention de faire, mais ne te le disent jamais, même quand tu les en supplie et leur explique que tu seras plus fâchée s’ils ne viennent pas alors qu’ils t’ont dit qu’ils viendraient au lieu de te dire simplement qu’ils ne peuvent pas ou ne veulent pas venir ce qui n’est pas un problème.... Ah, ils m’ont rendue dingue. Aucun sens de la parole donnée, on me dit ici que c’est culurel. M’enfin dans la devise quechua il y a tout de même « Ama llulla », Ne mens pas !!!!
Conclusion : ici (zone rurale), mieux vaut aller au devant des gens là où ils sont, là où ils travaillent que d’envisager de monter un atelier avec des horaires et un lieu où il faut qu’ils viennent exprès. Ce qui m’a vraiment énervée c’est que c’est précisément ce que j’aurais voulu faire ! Je crois que je ne suis pas prête de repartir dans le cadre d’un programme piloté par des péruviens venant de la ville avec tous leurs préjugés racistes tellement profondément ancrés qu’ils ne s’en rendent même plus compte (Ahhhh les beaux discours sur le respect et les droits de l’homme quand on traite comme des esclaves des personnes du coin sous prétexte qu’un jour ils bénéficieront des résultats d’un programme pour la réalisation duquel on est soi-même grassement payé...) et qui appliquent dans des zones rurales des modes de fonctionnement citadins complètement inappropriés.
Bref. Sur quatre semaines que j’ai passées à les attendre chaque après-midi, je crois qu’au total j’ai vu des jeunes 6 fois, et presque jamais les mêmes.
Soit, dépatouillons-nous...
Il a été question un moment de faire un spectacle sur les mythes et épisodes historiques propres à Pampa et au district des Morochucos. A cause des problèmes causés par la grande gueule dont je vous ai parlé, on n’a pas pu creuser.
Ensuite, nous avions évoqué la possibilité de représenter des itinéraires, ceux des personnes que l’on peut croiser à Pampa :
- celui qui a dû partir sous la contrainte (pour fuir le terrorisme)
- celui qui est parti en ville, à Ayacucho, à Lima, par choix
- celui qui revient et choisit de rester
- celui qui revient mais ne trouve plus ses repères et ne sait pas s’il doit repartir ou rester
- celui qui est resté, faute de pouvoir partir
- celui qui a toujours vécu là, et qui s’en contente. Qui est heureux ? Mine dubitative de tous. Qui s’en contente, parce que c’est comme ca.
Programme ambitieux, pour lequel nous aurions eu besoin de plusieurs séances de travail...
Au final, comme nous n’avons eu que 2 après-midi de « vrai » travail, nous nous sommes contentés de représenter la chanson quechua Chankil Mayu, emblématique du district des Morochucos, et qui évoque un épisode historique que les plus jeunes ne connaissent pas toujours.
Nous avons fabriqué des ombres en noir et blanc et en couleur, certaines en fil de fer, d’autres en carton :
- le fleuve Chankil, qui descend des montagnes, le soleil qui se lève sur les montagnes
- des chevaux (outil de travail et emblème des morochucos) caracolant sur les sommets
- un (très beau) visage de jeune fille en fil de fer (j’ai trouvé le Calder andin ! comme quoi, il y avait du potentiel...), qui pleure des larmes qui viennent remplir le fleuve (« Warmayanachaypa winqinmayu » dit la chanson).
- une rue de Pampa avec ses chozas et ses toits de paille ou de tôle (calamina), des décorations, la population venue pour acclamer le président Manuel Prado, représenté avec a veste et ses bottes de cuir, et un grand drapeau péruvien
- le clou du spectacle : l’envol de l’avion de Manuel Prado (avion de guerras), un super biplan oú l’on distinguait le pilote, avec effet spécial (fil de pêche et réseau de clous) lui permettant de traverser l’écran comme un dessin animé, gros succès.
- Coucher de soleil sur le rio Chankil et nuit étoilée (ici, elle est proprement hallucinante. L’une de leurs constellations favorite est la Croix du Sud, alors on a fait la Croix du Sud dans la Voie Lactée).
(voir la vidéo)
Le jeudi 21 juillet, après avoir recouvert de couvertures les fenêtres et le toit (tôle translucide) de l’auditorium de la paroisse avec l’aide d’Alfredo (sans lui, sa curiosité, son enthousiasme, son aide et sa confiance, je n’aurais pas tenu le coup, ceux du programme n’ont servi qu’à créer des difficultés et n’ont jamais donné un coup de main), après une répétition à l’arrache, où l’on a dû remplacer les jeunes qui avaient promis de venir pour chanter – et qui évidemment n’étaient pas là, mais cette fois-ci je m’y attendais, à force on s’y fait – par une bande de gamins de l’école primaire super motivés, on a donné notre représentation, devant quelques pampinos et plus de 150 gamins venus de toutes les communautés des alentours pour une séance de cathéchèse organisée par une pauvre religieuse qui s’est vu confisquer la salle qu’elle avait réservée depuis 2 mois par un spectacle qui n’avait rien à voir avec la thématique de sa journée... (bé oui, les gens du programme n’avaient pas jugé utile de vérifier la disponibilité de la salle... Arrrrrrrrhhhgg...)
Enfin. On respire un bon coup et on tâche de passer un bon moment.
Des élèves de primaire présentent deux numéros : le bon samaritain, et la pierre sur le chemin. Ils sont super touchants, jouent en espagnol et en quechua, à fond dans leur histoire, qu’ils jouent un paysan, une pierre ou le derrière d’un cheval... Ils gèrent admirablement les imprévus (oubli d’un accessoire ? qu’à cela ne tienne, un des gamins improvise un truc pour l’apporter).
Puis leur maîtresse leur fait entonner l’hymne péruvien en quechua. Je l’ai enregistré... mais ai oublié un jour de mettre la sécurité sur mon enregistreur, et j’ai perdu toutes les chansons et tous les témoignages en quechua que j’avais récoltés...
Les coulisses du théatre d'ombres á Pampa.
Puis c’est notre tour. On fait le noir, les gens ici ne sont pas habitués et sont un peu mal à l’aise, mais apparemment c’est allé mieux une fois qu’on a commencé.
A l’arrière du castelet, nous sommes trois. José, un grand ado, Andy, un gamin d’une dizaine d’années qui venait me dire bonjour tous les jours, et moi, en chapeau, lliklla et pollera, tenue qui complique un peu la manipulation. A l’avant du castelet, nos 2 guitaristes et notre bande de chanteurs et chanteuses chantant horriblement faux mais de tout leur coeur.
La manipulation se passe bien, Andy et José sont super concentrés, c’est chouette à voir. A la fin ils sont vraiment contents. Le public aussi. On sort du castelet, on salue tous ensemble, et on reprend la chanson avec le public, ici tout le monde la connaît par coeur. C’est chouette d’entonner une chanson avec près de 200 personnes.
Aprés le spectacle, on reprend tous en choeur Chankil Mayu... La nénette en pollera, c'est moi !
Alfredo vient me voir à la fin, et me dit que même si ca a été compliqué, ca valait vraiment la peine, que c’était beau.
Oui, ca valait la peine. Tâchons d’oublier le reste...
Cholo, mon éléve le plus fidéle á Pampa...le seul á avoir été lá tous les jours...